Tout en étant fortement ancrée sur ses territoires de Normandie et des Hauts-de-France, l’ETI familiale a franchi le cap de l’international avec succès. Interview de Paul Lhotellier, président du groupe Lhotellier.
Présentez-nous le groupe Lhotellier.
Paul Lhotellier : nous sommes une ETI familiale et territoriale. L’entreprise a été créée par mon arrière-grand-père, à la sortie de la première guerre mondiale. Le pays avait besoin de bras pour reconstruire nos territoires détruits et massacrés. Mon aïeul a alors lancé une activité de maçonnerie. Aujourd’hui, je suis la 4e génération d’entrepreneurs à la tête du groupe. Nous réalisons un chiffre d’affaires de près de 210 M€ et nous avons fêté nos 100 ans l’année dernière !
Quelles sont vos activités ?
P. L. : depuis sa création, notre groupe s’est déployé dans de nombreux métiers. Nous sommes des bâtisseurs, avec cette volonté d’intégrer l’ensemble de la chaîne du BTP, de l’étude des projets jusqu’à leur construction et leur exploitation. Nous réalisons 80 % de notre chiffre d’affaires dans les métiers de la construction, en particulier les travaux publics qui constituent notre cœur de métier. Les 20 % restant sont générés par l’activité de matériaux de construction. Nous travaillons pour moitié pour le secteur public et pour moitié pour le secteur privé.
Avez-vous toujours évolué dans l’entreprise familiale ?
P. L. : non. J’ai fait mes premières armes au Québec, où j’ai démarré ma carrière de jeune ingénieur de l’école polytechnique de Montréal dans le domaine des déchets. À ce moment-là, j’aspirais à découvrir d’autres horizons, à voyager, mais j’ai dû rentrer de manière précipitée en France, à la suite d’un drame familial. J’ai alors fait un 3e cycle à l’école des Mines dans le domaine de l’environnement. J’ai ensuite créé ma propre entreprise dans la collecte et le traitement des déchets et des sols pollués, tout en rejoignant les rangs du groupe Lhotellier en 1994. Puis, j’en ai pris la Présidence dans les années 2000.
Être une ETI dans le monde de la construction, est-ce une force ou une faiblesse ?
P. L. : en tant qu’ETI, nous cumulons les avantages de nos grands frères, les majors, et de nos petits frères artisans. Nous faisons preuve de beaucoup d’agilité, grâce notamment à des circuits de décision raccourcis à l’image d’une PME. En même temps, nous disposons d’une capacité d’investissements importante. Nous lançons, par exemple, des programmes de recherche dignes des plus grands groupes. Mais nous avons aussi besoin de nous appuyer sur d’autres entreprises de notre dimension pour mutualiser nos forces et avoir une représentativité à l’échelle nationale. C’est pour cela que nous avons créé un club des ETI de la construction, Uni TP, qui est aussi une marque employeur pour séduire de jeunes ingénieurs, ainsi qu’un club des ETI de matériaux, le 2C2I.
Où est implanté le groupe Lhotellier ?
P. L. : nous avons la particularité d’être une entreprise bi-régionale. Notre siège est situé à la frontière entre la Normandie et les Hauts-de-France. Nous disposons aujourd’hui d’une quarantaine d’implantations dans ces deux régions qui totalisent 6 territoires. Nous sommes également présents au Québec et, jusqu’il y a peu, en Inde.
Vous semblez très attaché à votre caractère régional.
P. L. : effectivement, notre ancrage territorial est fondateur dans notre réussite et nous offre une grande proximité avec nos clients. Nous sommes aussi très investis localement dans la vie associative et culturelle de nos régions. Je suis moi-même Président du club de Hockey d’Amiens. Nous faisons en sorte de cultiver cette dimension régionale, cette « rusticité », tout en apportant un élan de modernité. C’est avec beaucoup d’inquiétude que nous voyons la France se réduire à 13 métropoles et une capitale. Nous souhaitons être des promoteurs du développement rural car la préservation de nos territoires est essentielle pour notre économie !
Mais votre groupe est aussi présent hors de France. Pourquoi avoir fait ce choix de l’international ?
P. L. : la réflexion est venue en 2012. Le secteur du BTP traversait alors plusieurs années de crise et nous cherchions à nous développer sur de nouveaux marchés, différents et à contre-courants de nos activités historiques. En 2014, nous avons pris la décision d’investir le Québec, où j’avais encore des liens, et en Inde, qui offrait de belles opportunités dans l’ensemble de nos métiers.
Comment avez-vous procédé ?
P. L. : nous nous sommes appuyés, à chaque fois, sur des partenaires locaux. Ce sont eux qui ont monté nos activités et les pilotent. De notre côté, nous les accompagnons et les guidons dans ce développement. Trouver les bons partenaires et avoir des personnes dédiées sont les deux clés pour réussir à l’international. Il ne faut surtout pas chercher à dupliquer le modèle existant en France.
Quelle est votre présence aujourd’hui dans ces deux pays ?
P. L. : au Canada, nous venons de créer une joint-venture avec un partenaire local, ce qui va nous permettre de démultiplier nos forces. Nous comptons aujourd’hui 450 salariés au Québec et nous prévoyons d’atteindre les 100 M$ de chiffre d’affaires en 2020. En revanche, en Inde, nous avons vendu nos parts en décembre dernier et nous sommes aujourd’hui totalement désengagés de ce pays. Mais nous y avons fait de très belles réalisations.
Peu d’entreprises du BTP tentent l’aventure à l’international.
Est-ce réellement plus compliqué qu’en France ?
P. L. : cela a été difficile au début. Nous avons mis plusieurs années avant de réussir à nous déployer hors de nos frontières. Il faut bien avoir en tête que tout est différent à l’étranger, la façon de chiffrer, les relations avec les maîtres d’œuvre, les maîtres d’ouvrage, les matériaux et les techniques utilisés, etc. De plus, il faut gérer la peur que nous avons, nous, Français, à nous étendre hors de nos frontières. Le développement à l’international est souvent jugé, à tort ou à raison, plus risqué que sur notre territoire. Mais, finalement, nous avons considéré qu’il n’était pas plus compliqué pour un groupe normand comme le nôtre d’investir de nouveaux pays que de nous déployer en Rhône-Alpes, par exemple. Nous aurions d’ailleurs probablement mis le même temps pour réussir.
Envisagez-vous d’explorer de nouveaux pays ?
P. L. : non, cela ne fait pas partie de nos plans. Bien sûr, si nous identifions une opportunité, nous la saisirons, mais notre priorité est aujourd’hui de nous renforcer dans nos métiers, sur nos territoires. Dans le cadre de notre nouveau plan stratégique 2019-2026, nous réfléchissons aussi beaucoup aux métiers de demain. Les enjeux environnementaux, la numérisation, le « mieux travailler ensemble » sont autant de tendances lourdes qui vont créer de nouvelles opportunités que nous souhaitons capter.
Fiche d’identité
Dénomination : Groupe Lhotellier
Activités : construction et matériaux de construction
Siège social : Blangy-sur-Bresle (76)
Chiffre d’affaires : 210 M€ en 2019
Effectif : 1 230 salariés en France et 450 au Canada