Les hôtels parisiens du jeune groupe Touriste, fermés jusqu’à fin août, se démarquent par leur unicité où la décoration occupe une place centrale. Interview d’Adrien Gloaguen, fondateur et dirigeant du groupe.
Comment a démarré votre parcours d’entrepreneur ?
Adrien Gloaguen : ma passion pour le secteur hôtelier remonte à un job d’été effectué à Londres l’année de mes 18 ans dans une auberge de jeunesse St Christopher’s. J’avais trouvé ma voie : je serai hôtelier. À l’issue de mes études en école de commerce, en 2008, à 25 ans, j’ai donc repris le fonds de commerce d’un premier petit hôtel 3 étoiles de 33 chambres à Denfert-Rochereau, Le Sophie-Germain. J’avais alors en tête la volonté de le rénover intégralement.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées sur ce premier projet ?
A. G : la principale difficulté à l’époque fut le financement. J’ai essuyé 6 refus de banque. Et la septième qui a accepté n’a pas voulu tout de suite financer les travaux de rénovation. Le prêt pour la rénovation était conditionné à l’atteinte de l’objectif prévisionnel que j’avais annoncé. Cela s’est avéré compliqué puisque mon objectif initial était de me lancer avec un hôtel rénové. Mais j’ai réussi à remonter le chiffre d’affaires et l’année suivante, j’ai pu entreprendre les travaux.
Comment votre aventure dans l’univers hôtelier s’est-elle poursuivie ?
A. G : j’ai par la suite, entre 2011 et 2016, acquis et réhabilité successivement 5 hôtels défraîchis sur Paris. En 2011, l’hôtel Paradis, un hôtel 3 étoiles dans le 10e. Ont suivi, en 2012, l’hôtel des Écrivains dans le 13e, en 2013, l’hôtel Panache dans le 9e, en 2015, l’hôtel Bienvenue toujours dans le 9e, et en 2016, l’hôtel Beaurepaire dans le 10e arrondissement.
Et ces différents projets ont abouti à la création du groupe Touriste ?
A. G : nous avons créé le groupe Touriste en 2018. Je n’avais pas forcément la velléité de constituer un groupe. Mais donner corps à un groupe hôtelier avait du sens car cela répondait à une logique de visibilité, notamment auprès de nos plus fidèles clients pour qu’ils puissent faire le lien entre nos différents établissements. De plus, je me suis rendu compte que c’était très important pour nos partenaires financiers qu’il y ait une entité définie. Et j’ai eu l’opportunité de racheter le nom touriste.com.
Quels sont les dénominateurs communs au positionnement de vos établissements ?
A. G : nos hôtels sont à la fois abordables, confortables et beaux. Le premier dénominateur commun est, en effet, un très bon rapport qualité/prix avec un ticket moyen situé aux alentours de 120 €. Ensuite, le socle stratégique de notre positionnement est l’unicité de nos hôtels. Il n’y a pas une once de standardisation dans nos établissements. Je déteste la standardisation et je veux que chaque établissement soit singulier avec du caractère et un supplément d’âme. D’où l’importance de la décoration et du design dans nos hôtels. Pour cela, je m’entoure de jeunes décorateurs que je choisis pour le regard neuf qu’ils portent sur l’hôtellerie. Et, à chaque nouveau projet, pour nous renouveler, nous travaillons avec un nouveau directeur artistique, une nouvelle équipe de décoration, avec de nouveaux fournisseurs pour les produits d’accueil…
Comment avez-vous financé vos projets ?
A. G : le secteur hôtelier est très capitalistique, surtout quand vous privilégiez le développement en propre, ce qui est mon cas. Il faut beaucoup de liquidités pour acheter. La revente de certains actifs s’est donc avérée nécessaire pour mener à bien de nouveaux projets. Je ne fais pas des hôtels pour les revendre. Mais la revente me permet d’envisager des projets de plus grande envergure, des hôtels à la fois plus gros et mieux placés. J’ai donc revendu, au fur et à mesure, les trois hôtels (le Sophie- Germain, les Écrivains, le Paradis) sur lesquels j’avais le moins de dettes. De plus, je n’hésite pas à faire entrer des investisseurs dans mes projets.
Comment avez-vous vécu l’arrêt de votre activité au moment du confinement ?
A. G : nous avons tout arrêté du jour au lendemain. Nous ne fermons jamais nos hôtels et, pour l’anecdote, je me suis rendu compte qu’un de nos hôtels n’avait même pas de serrure ! C’est très désagréable de tout fermer, mais j’estime que l’État a bien assuré. Entre les PGE, le chômage partiel et les reports de crédits, l’essentiel de nos charges ont été couvertes. Nous avions juste les loyers à payer et nos bailleurs ont revu les échéances.
Où en êtes-vous dans la réouverture de vos établissements ?
A. G : nous avons fait le choix de ne rouvrir nos hôtels que fin août. D’abord, parce que la période estivale (juillet et août) est traditionnellement la basse saison à Paris pour le secteur hôtelier. Et la réouverture des frontières qui n’était pas prévue avant le 15 juin pèsera également sur la saison. Par ailleurs, la prolongation des mesures d’aide jusqu’à fin septembre pour le secteur HCR nous permet d’éviter la catastrophe. Car le fait d’ouvrir et de ne pas travailler est plus catastrophique pour nous que d’être fermé.
Quel a été l’impact sur vos chantiers et projets en cours ?
A. G : les chantiers ont été suspendus. L’hôtel des Deux Gares, situé entre la Gare du Nord et la Gare de l’Est, décoré par un jeune designer anglais et pour lequel il restait un mois de travaux devait ouvrir en mai. Il ouvrira finalement en septembre. Côté projets, j’ai finalisé, pendant le confinement, l’achat par échange d’e-mails et signature électronique d’un l’hôtel de 60 chambres dans l’hypercentre de Londres. Son ouverture est prévue pour mars 2021.
Comment voyez-vous la reprise et quel va être l’impact de la crise sur les hôteliers indépendants ?
A. G : même s’il est difficile de se projeter, je suis optimiste sur la reprise de notre secteur. Nous percevons déjà que les gens sont désormais beaucoup moins stressés. S’il n’y a pas de deuxième vague, je pense, en tout cas je l’espère, que le retour à la normale sera rapide, et qu’en septembre ce sera une vieille histoire. Il y a plus d’incertitudes concernant la clientèle étrangère si certaines lignes aériennes restent fermées. La grande inconnue, c’est finalement la vitesse de la reprise. Pour l’hôtellerie indépendante, tout va dépendre du taux d’occupation. Si on est à 60 %, tout le monde va s’en sortir. Si on est entre 30 et 40 %, cela va être compliqué pour ceux qui ont beaucoup d’emprunts ou ceux qui n’ont pas de trésorerie.
Pensez-vous ralentir vos projets de développement ?
A. G : certes, à très court terme, la prudence est de mise pour lancer de nouveaux projets. Mais je reste confiant sur la sortie de crise et je ne vais pas arrêter d’entreprendre. D’ailleurs, on a continué à me soumettre beaucoup de projets pendant le confinement. Je regarde d’autres villes européennes (Amsterdam, Rome...), mais également la Province.
Fiche d’identité
Dénomination : Groupe Touriste
Activité : boutiques-hôtels
Chiffre d’affaires géré :
- Hôtel Panache : 2,5 M€ HT + 600 K€ pour le restaurant
- Hôtel Bienvenue : 1,5 M€ HT + 500 K€ pour le restaurant
- Hôtel Beaurepaire : 1,15 M€ HT
Parc : 4 établissements à Paris et 1 à Londres
Effectif : 90 personnes